« La peur se lit sur leurs visages. Terrifiés, les mains en l’air, ils sont conduits dans un champ. Un soldat allemand semble même esquisser un sourire. Ces prisonniers sentent que la situation est inhabituelle. Ces tirailleurs sénégalais de l’armée française n’ont plus que quelques minutes à vivre. Des Panzers s’apprêtent à leur tirer dessus. Ces chars ont été positionnés sur la route, juste à côté. Ils font feu à la mitrailleuse. Une quarantaine d’hommes s’écroulent au sol. Le 20 juin 1940, dans le Rhône, vient de se dérouler le massacre de Chasselay », écrit l’auteur de “Juin 1940, combats et massacres en Lyonnais” (Éd. du Poutan).
De nombreuses exactions contre les troupes africaines
L’historien Julien Fargettas a mis en lumière huit photographies inédites de cette exécution, les seules connues jusqu’à présent. « Ce que révèlent ces clichés, c’est que c’était une action assez pensée. C’est assez troublant. Quand on regarde l’attitude des soldats allemands, il n’y a quasiment rien qui transparaît, presque comme s’ils étaient insensibles », relate l’historien.
Ce massacre de soldats africains n’est pas le premier à avoir eu lieu. L’avancée des troupes allemandes a été jalonnée de nombreuses exactions contre les troupes africaines. Cette haine à l’encontre des soldats noirs remonte à la Première Guerre mondiale. « A cette époque, l’armée française avait fait des soldats africains des instruments de propagande à son service pour combattre, tandis que les Allemands les ont utilisés pour accuser les Alliés de sauvagerie sur le champ de bataille », résume l’historien. Dans les années 1920, l’occupation de la Ruhr et de la Rhénanie par l’armée française, composée de nombreux soldats originaires des colonies, renforce ce racisme. « En Allemagne se met en place une campagne de propagande extrêmement intensive et assez abjecte qui accuse les soldats africains de viols massifs et d’enlèvement. C’est ce que les Allemands vont appeler l’épisode de la ‘Honte noire’ et qui va être réutilisé par les Nazis ».
En France en mai 1940, les exactions sont nombreuses contre les soldats des colonies : « Quand ils font face à des soldats africains, ce sont souvent des troupes qui résistent et qui combattent bien. Les Allemands ont des pertes et il y a une espèce de colère qui vient s’ajouter à tous les ressentiments emmagasinés », analyse Julien Fargettas.

Des tirailleurs sénégalais aux pieds des tombes du cimetière de Chasselay, le 24 septembre 1944 (Ph : DR)
Les corps des tirailleurs laissés à même le sol
Le 19 juin 1940, les violences culminent à Chasselay. Alors que le maréchal Pétain a annoncé deux jours plus tôt vouloir demander l’armistice, le 25e régiment de tirailleurs sénégalais est posté au nord-ouest de Lyon pour retarder l’entrée de l’ennemi dans l’ancienne capitale des Gaules. « Le 19 juin au matin, quand les Allemands abordent le secteur de Chasselay, ils se heurtent à une résistance très vive avec des combats qui vont durer plusieurs heures, alors qu’ils s’attendaient à entrer beaucoup plus facilement dans Lyon », décrit Julien Fargettas. « Dès l’issue des premiers combats dans l’après-midi, ils vont exécuter des tirailleurs mais aussi des soldats d’origine française. Et puis le lendemain, à l’issue d’une dernière résistance, ils vont diviser les prisonniers en deux : d’un côté les Français et de l’autre, les Africains. Ils dirigent ces derniers sur une route isolée. Ils sont mis dans un champ et mitraillés ». Lors de certains de ces massacres, des soldats français ont aussi été exécutés ou blessés pour avoir essayé de s’interposer. À Chasselay, le capitaine Gouzy reçoit notamment une balle dans la jambe pour avoir protesté.
Les corps des tirailleurs sont laissés à même le sol. Malgré l’interdiction qui en est faite par les Allemands, les habitants du village enterrent les dépouilles dans une fosse commune. Un homme va alors tout particulièrement s’intéresser à leur sort : Jean-Baptiste Marchiani, secrétaire général de l’Office départemental des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation. Alors que la France est tombée aux mains des Allemands, il s’émeut du destin de ces soldats africains et propose dès l’été 1940 de leur donner une vraie sépulture. Il imagine l’érection d’une nécropole nationale sur le modèle d’un cimetière africain en ocre rouge.
Des camps spécifiques appelés ‘Frontstalags’
Pour les tirailleurs qui y ont échappé, une longue période de captivité commence. Alors que les soldats français sont dirigés vers des camps en Allemagne, eux restent sur le territoire français : « Les Allemands refusent de les transférer. Ils ne veulent pas de ‘contamination raciale’, selon leurs termes. Ils sont donc maintenus en zone occupée dans des camps spécifiques appelés ‘Frontstalags’ ». Là encore, les brimades et les maltraitances se multiplient. « Ils vont y végéter avant d’être répartis dans des commandos de travail, des fermes, des exploitations forestières ou encore des usines ».
À Chasselay, leurs camarades tombent peu à peu dans l’oubli. Alors que le débat sur le racisme fait rage en France, la tragédie de Chasselay nous rappelle l’importance des soldats africains au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il faut revenir à l’Histoire et expliquer les choses telles qu’elles se sont passées. Et rappeler surtout ces atrocités et massacres commis par les Allemands.

Le 7 juin 1940, le capitaine Charles N’Tchoréré est fusillé par les Allemands à Airaines dans la Somme (Ph : DR)