La minuscule salle d’audience du pôle pénal économique et financier est remplie aux trois quarts par les détenus, identifiés par un numéro sur leurs chasubles orange ou vertes. Ils étaient une quinzaine, jeudi 7 mars, à avoir été sortis de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), sur les dix-neuf accusés : l’une d’entre eux est absente, les autres, en liberté provisoire, se tiennent au fond de la salle.
Tous sont inculpés pour une vaste affaire de trafic international de cocaïne, sous différents motifs : trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires, fraude fiscale. Parmi eux, on trouve des Espagnols, des Italiens, des Colombiens, des hommes d’affaires libanais, des Ivoiriens, dont un élu d’un conseil régional et plusieurs hauts gradés de la police et de l’armée.
Le cerveau présumé de l’affaire est un dénommé Miguel Angel Devesa Mera, un ancien policier espagnol, établi depuis 2018 à San Pedro comme patron de deux sociétés-écrans. Il s’agit de Kibor Africa et Sentinel Company, dont l’activité changeait au gré des interlocuteurs : transport, équipement sportif et même prestataire pour National Geographic. Après la saisie de plus de deux tonnes de cocaïne, d’une valeur totale estimée à 41,1 milliards de francs CFA (62,6 millions d’euros) à Abidjan et à San Pedro, en avril 2022, l’homme à la silhouette massive, aux yeux bleu glacier, a signé des aveux complets et dit avoir été envoyé en Côte d’Ivoire par des narcotrafiquants colombiens.
Charismatique, affable avec la cour, il se montre volontiers coopératif depuis le début des audiences le 22 décembre 2023 et tient à s’exprimer en français malgré la présence d’un traducteur hispanophone. Jeudi, il était le premier à être appelé à la barre, invité par la présidente de la Cour à donner son avis sur la déposition, une semaine plus tôt, de l’ancien commissaire de la police criminelle de San Pedro, Karamoko Dosso. « C’est une bonne personne, commence Miguel Devesa d’une voix traînante. Mais sur le plan professionnel, il manque de formation, comme tous les policiers ivoiriens. »
Lorsque d’autres prévenus font leur déposition, Miguel Devesa prend des notes. Il n’hésite pas à se signaler pour donner des précisions ou souligner des contradictions, d’un ton pédagogue, voire professoral. Mais au final, plusieurs confrontations patinent et aboutissent à un débat flou.
Par exemple, Miguel Devesa présente César Ouattara, un élu du conseil régional de San Pedro, comme un de ses hommes de confiance. César Ouattara aurait été sa porte d’entrée pour installer ses activités dans la ville portuaire. Miguel Devesa l’aurait notamment payé trois millions de FCFA pour transporter son stock de cocaïne entre San Pedro et Abidjan. « Je n’ai jamais reçu un centime », rétorque César Ouattara qui affirme n’avoir jamais vu de cocaïne. Beaucoup de questions restent donc en suspens, à l’issue de chaque audience…
E.K.