Bruno Dogbo Blé, libéré suite à une grâce présidentielle intervenue le jeudi 22 février 2024, était de retour, après treize (13) ans, dans son village, pour une cérémonie de « purification », pratique africaine consistant à effacer une souillure (physique ou morale). Sauf que la partie a vite tourné au règlement de comptes pour l’ancien élève de Saint-Cyr. Dans la vidéo de la cérémonie que L’inter a pu visionner, Dogbo Blé se décharge sur Philippe Mangou, coupable de l’avoir présenté, en septembre 2017, devant la Cour pénale internationale (Cpi), comme un officier « indiscipliné ».
« Quelqu’un qui n’a pas honte, c’est un danger. Mangou, c’est quelqu’un qui n’a pas honte, et c’est quelqu’un qui n’a pas de conviction. Il a des convictions flottantes. Il est ici, il est là. C’est un carriériste, un opportuniste. Je le connais. C’est pour cela, je vous parle de lui », a énoncé le général Dogbo Blé.
En fait, lors de la crise post-électorale de 2010-2011, Bruno Dogbo Blé commandait la garde républicaine, tandis que Philippe Mangou était chef d’état-major des armées. Et le procès devant la Cpi, de l’ancien président de la République, Laurent Gbagbo, pour crimes contre l’humanité, a vu défiler de hauts gradés de l’armée au moment des évènements. Parmi eux, le général Philippe Mangou, lequel n’avait pas été spécialement élogieux à l’endroit de son collaborateur de l’époque.
« A la Cpi, il m’a traité de tous les noms d’oiseaux. Il a dit (de moi) : je suis indiscipliné. Mais quel est cet officier qui est indiscipliné, mais qui n’a jamais été puni jusqu’au grade de général ? Quel est cet officier qui est indiscipliné et qui est toujours avancé dans la première année de sa proposition ? Toujours jusqu’au grade de général. C’est-à-dire, c’est comme un élève qui n’a jamais redoublé, et qui est toujours parmi les premiers à passer en classe supérieure. Est-ce qu’on peut dire d’un officier de ce type que c’est un indiscipliné ? Il n’avait rien à dire (à la Cpi). Il a parlé », a dit, amer, le médaillé de la défense française, devant de nombreux parents, et en présence de cadres du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (Ppa-Ci) de Laurent Gbagbo, dont les anciens ministres Hubert Oulaye et Odette Likikouet Sauyet.
« Mangou a fui »
L’ancien commandant de la garde républicaine a présenté le général quatre étoiles- reconverti entretemps à la diplomatie- comme un fuyard. « On faisait la guerre, Mangou a fui », a dit sèchement Dogbo Blé. Puis de relater : « Je parlais avec Mangou au téléphone. On parlait de tactique, tout ça, de la guerre, puis nous nous sommes quittés. 30 à 40 minutes après, je me suis rappelé quelque chose… quand je l’ai rappelé, son aide de camp m’a dit : le général dit qu’il va vous prendre après. C’est inhabituel. Chaque fois que j’appelle le général Mangou, automatiquement, il me prend au téléphone. Il se dit que j’ai peut-être une commission pour lui, de la part du président. Mais là, il a dit : il me prend après. Ça me fait un peu bizarre ».
Le général trois étoiles explique avoir attendu, en pure perte, l’appel de son chef d’état-major. « J’étais inquiet. J’ai essayé d’appeler les autres chefs militaires. Ils ont dit qu’ils n’avaient pas de ses nouvelles. J’ai pensé que les rebelles l’avaient tué ou qu’il était dans une embuscade. Je sors de mon bureau pour faire quelques tours dehors. Je croise trois officiers de la garde républicaine, qui me disent : Mon général, vous êtes au courant ? Je réponds : au courant de quoi ? Ils disent : le chef d’état-major a fui », a exposé Dogbo Blé.
Il dit être allé chercher Philippe Mangou « dans sa cachette » pour le conduire à Laurent Gbagbo, auprès de qui le chef d’état-major « voulait s’excuser ». « J’étais avec Konan Boniface (figure importante de la marine, à l’époque, Ndlr). Quand nous avons rencontré Mangou, il avait sa garde, sa voiture. Mais il a voulu monter avec moi. Il dit : Dogbo, je veux monter avec toi, tellement il avait peur. Il est monté dans ma voiture. Il était assis à ma gauche…Chemin faisant, il me fait une révélation. Il dit : Dogbo, je suis allé à l’ambassade d’Afrique du Sud à cause de Julienne. Julienne, c’est son épouse. Parce que pendant la transition militaire, Julienne a trop souffert. C’est pourquoi, je suis allé là-bas, me mettre à l’abri, avec elle. Quand j’ai entendu ça, j’étais écrasé de honte », s’est remémoré le militaire.
Piqûre de rappel
Durant neuf jours, le général Philippe Mangou avait déposé devant la Cour pénale internationale, en tant que témoin de l’accusation. Déjà, le lundi 25 septembre 2017, premier jour de son audition, l’ancien chef d’état-major avait annoncé la couleur. Parlant de Dogbo Blé, Philippe Mangou l’a présenté comme un « cadet », qu’il a connu depuis les années 1980. Le témoin de Fatou Bensouda a parlé d’un « officier très intelligent, bien cultivé », faisant « preuve de détermination et de courage », mais il ne l’aurait pas reconnu, par la suite. « À l’époque, il était entièrement effacé. C’est à peine s’il ne rasait pas les murs. J’en ai fait mon fils à moi, puisque c’est moi qui fus son témoin de mariage, mais par la suite je n’ai pas reconnu son comportement. Il était l’interlocuteur privilégié du président de la République. Dogbo Blé étant en même temps commandant de la garde républicaine et commandant du palais (présidentiel), il ne rendait compte qu’au président Laurent Gbagbo. Chaque fois qu’on le convoque pour une réunion, il dit qu’il est avec le président. Entre Dieu et l’ange, il est évident qu’on se tourne vers Dieu. D’ailleurs, en sept ans de commandement, Dogbo Blé n’a assisté que deux fois à une réunion de l’état-major. Il avait de fait, deux chefs : le président de la République et le chef d’état-major », avait exposé le témoin.
De sa cellule de prison en Côte d’Ivoire, l’ancien commandant de la garde républicaine a clairement été piqué au vif par le témoignage de son chef. La preuve : Philippe Mangou a été sa première cible, à sa sortie de prison, quelque six années après.
Source L’inter