Combler le retard de l’Allemagne
Les Allemands ont beau aimer être à l’heure, ils sont constamment en retard en Afrique. En effet, pendant longtemps, leurs entreprises ont eu les yeux rivés sur l’Asie et l’Europe de l’Est. Le faible niveau d’industrialisation de l’Afrique et le poids limité de la classe moyenne rebutaient les sociétés allemandes. Dans les années 2010, le continent représentait moins de 1 % des investissements directs à l’étranger selon une étude de la banque publique KfW.
Aujourd’hui, Berlin veut changer les choses.
Durablement éloigné de la Russie et inquiet du futur de ses relations avec la Chine, le gouvernement allemand tient sa nouvelle stratégie africaine. « L’Afrique grandit et change énormément. Son évolution façonnera le XXIᵉ siècle et donc aussi l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe ». C’est avec ces mots que la ministre allemande de la Coopération économique et du Développement, Svenja Schulze (SPD), présentait le 24 janvier 2023, la nouvelle stratégie allemande pour le continent africain.
L’Allemagne aimerait mener une politique structurelle mondiale de développement dont l’Afrique serait un partenaire important. Ses dirigeants estiment que tous les défis mondiaux actuels plaident pour une intégration de l’Afrique dans la pensée stratégique du pays.
Offensive diplomatique
Pour y parvenir, le chancelier Olaf Scholz a ainsi visité, en mai 2022, le Niger, le Sénégal et l’Afrique du Sud. Le ministre de l’Économie, Robert Habeck, s’est quant à lui rendu en Namibie et en Afrique du Sud en décembre 2022. Il a été suivi en février 2023 par le ministre des Finances, Christian Lindner, au Mali et au Ghana. Dans la foulée, le ministre du Travail, Hubertus Heil, et la ministre de la Coopération, Svenja Schulze, ont visité le Ghana et la Côte d’Ivoire en février 2023. Ces déplacements s’ajoutent aux multiples visites de la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. Symbole de cette nouvelle ambition allemande, le chancelier Scholz avait déjà invité le président en exercice de l’Union africaine, le président sénégalais Macky Sall, en tant qu’émissaire de son continent au sommet du G7 à Schloss Elmau en juin 2022.
L’Allemagne profite des nombreuses critiques autour de la politique française en Afrique pour faire avancer ses pions. La France connaît en effet des déboires, notamment au Sahel où trois pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont connu des coups d’Etat et porté au pouvoir des juntes militaires hostiles à l’ancienne puissance coloniale. Les Allemands entendent profiter du fait que la diplomatie française et de l’Elysée ne fait plus recette en Afrique, surtout dans ses anciennes colonies en Afrique subsaharienne. Depuis une quinzaine d’années, le continent est devenu une terre attractive qui fait l’objet d’une compétition. Résultat, l’Allemagne a réussi à pénétrer l’Afrique au même niveau que la France qui s’est endormie dans son ancien pré carré.
Pour Berlin, ce virage doit s’inscrire dans le cadre plus large d’une réforme fondamentale de la coopération avec l’Afrique afin de rompre avec le passé colonial et de corriger l’équilibre asymétrique des pouvoirs entre les deux continents.
La nouvelle stratégie allemande présentée par la ministre de la Coopération économique et du Développement, Svenja Schulze vise à mettre en place des partenariats fondés sur le respect mutuel et la réciprocité. Berlin insiste sur l’idée que l’important n’est pas tant les projets concrets à mettre en place pour favoriser le développement africain que la manière de les mener et l’attitude qui guide ces actions. L’Allemagne veut promouvoir les droits humains et la démocratie, prendre en compte les intérêts de ses partenaires, mais également, naturellement, défendre ses propres intérêts.
Sur les plates-bandes de la France
Les Allemands veulent exploiter les opportunités qui lui sont offertes dans le cadre du développement durable. Un domaine où les Français ont également des convoitises. L’essentiel de la stratégie africaine consiste à créer un environnement favorable à la création de nouveaux emplois qui auront une incidence sociale et environnementale et qui, en même temps, contribueront à autonomiser les femmes. L’objectif est d’assurer aussi une transition équitable, autrement dit une transformation sociale et environnementale de l’économie, qui associe la conservation des ressources naturelles vitales à la prospérité économique, la justice sociale et la création d’emplois décents. L’Allemagne veut faire mieux que la France dans ces domaines où beaucoup de reproches lui sont faits par la jeunesse dans ses anciennes colonies en Afrique subsaharienne.
L’objectif est également de transformer les systèmes agricoles et alimentaires de manière à renforcer la sécurité alimentaire sur le long terme. Chose que la France n’a pas fait pendant de longues décennies en Afrique.
L’Allemagne veut aider au niveau de la santé, à mettre en place des systèmes de santé de base fiables et d’appuyer la création de capacités de production médicale (notamment en ce qui concerne la fabrication de vaccins). Le pays d’Olaf Scholz veut aider à renforcer les institutions démocratiques, l’efficacité des autorités publiques… autant d’éléments constituant la base de la résilience des sociétés et de la participation politique. A cela s’ajoute, la paix et la sécurité. L’objectif est de s’attaquer aux causes profondes des conflits et de les empêcher grâce à une approche intégrée associant aide humanitaire, coopération au développement et maintien de la paix.
La ministre Svenja Schulze a déclaré que l’Allemagne sera bien inspirée d’entretenir de bonnes relations de voisinage avec l’Afrique. Selon elle, dans le nouvel ordre mondial multipolaire, l’Allemagne doit agir en temps utile pour créer de solides alliances, réseaux et partenariats avec d’autres continents également. »
Concrètement, ces annonces sont accompagnées de multiples visites de haut niveau qui s’apparentent à une offensive de charme de l’Allemagne en l’Afrique depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. À l’aune de cette évolution, pour l’Allemagne, il est urgent de refonder ses relations politiques et économiques avec le continent africain. C’est pourquoi, pour Berlin, l’offre allemande doit explicitement se distinguer de celle de la France, voire des États-Unis et de la Chine. La nouvelle stratégie africaine annoncée par l’Allemagne a globalement su trouver le ton juste. Elle reconnaît l’influence croissante de l’Afrique dans le monde, et souhaite soutenir ses priorités. A la différence de la France.