Alors que le dirigeant libyen était un partenaire proche, une opportunité d’ouverture stratégique sur l’Afrique, le consommateur de nos principaux biens dans le nucléaire, il est devenu, du jour au lendemain, l’ennemi numéro un à abattre. Ce volteface mérite d’être analysée et comprise.
Jusqu’à présent, personne n’a été en mesure de donner une explication rationnelle. Les relations financières entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi pourraient être une explication. La réouverture du dossier franco-libyen, au sens politique, doit amener la justice à démontrer que les arguments propagandistes qui ont été martelés en mars 2011, ont servi de préparation psychologique à une entrée en guerre visant, manifestement, à renverser ce régime Kadhafi.
Effacer les traces d’un financement illégal
L’ancien président de la République se serait-il engagé dans une intervention militaire pour effacer les traces d’un financement illégal libyen de sa campagne de 2007 ? On peut légitimement se poser des questions, connaissant l’ampleur de cette affaire et les liens tissés entre Kadhafi et Sarkozy, sur les raisons privées de cet acharnement militaire, dont on peut se demander aussi s’il ne s’agissait pas d’effacer des traces et des témoins gênants. La mort de Kadhafi renforce ces questions.
Quand on parle du financement par Kadhafi de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007, on pense immédiatement aux circonstances dans lesquelles le chef libyen a été abattu. Il s’agit d’un meurtre. Le caractère urgent et impératif d’une intervention en Libye et l’exagération d’une menace était en fait très limitée. Nicolas Sarkozy voulait sa guerre d’Irak. Il a engagé une guerre contre la Libye et décidé d’abattre son régime avec l’approbation de 80% du Parlement.
La chute de Mouammar Kadhafi acquise par les armes a plongé la Lybie dans le chaos. Les stocks d’armes libyens ont profité aux groupes armés et à leur prolifération, qu’il s’agisse des rebelles touaregs au Mali, d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). La crise libyenne a produit ses premiers effets au Mali comme dans d’autres États africains sur le plan économique.
Le Mali n’est pas le seul pays à avoir été affecté par la crise libyenne sur le plan politique. Si, pour le moment, le Tchad semble épargné, la crainte de Ndjamena est que la prolifération d’armes bénéficie aux Toubous tchadiens et notamment aux éléments résiduels du mouvement rebelle actif dans le Tibesti, le MDJT. La configuration au Niger est encore plus préoccupante de ce point de vue. Outre la très poreuse frontière libyenne au nord, les forces armées nigériennes sont massivement déployées à la frontière sud pour contrer les infiltrations d’éléments de Boko Haram et à la frontière ouest pour faire face aux conséquences de la crise malienne, tout en assurant une présence croissante à la frontière tchadienne. Au lendemain de la chute de Kadhafi, le Niger, a été davantage exposé que le Mali. Il se devait de réintégrer des dizaines de milliers d’ishumar (chômeurs) et désarmer des centaines de combattants nigériens revenus de Libye.
Selon Airwars, 1 166 à 2 519 civils sont tués lors de la Première guerre civile libyenne, dont au minimum 869 civils tués par les forces khadafistes, 223 par l’OTAN et 50 par les rebelles.
Les victimes oubliées des frappes de l’OTAN
Au regard de ce qui précède et après la demande des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien et son ministre de la défense, Yoav Gallant, pour des crimes contre l’humanité pour extermination, meurtres, persécutions et autres actes inhumains, ainsi que pour des crimes de guerre pour meurtres, atteintes à l’intégrité physique et mentale, traitements cruels, attaques intentionnelles contre des civils et le fait d’affamer volontairement une population. Cela afin de démontrer que « toutes les vies se valent », le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan doit aller plus loin en demandant des poursuites également contre Nicolas Sarkozy pour les crimes en Libye.
Des dizaines de civils ont été tués par des frappes aériennes de l’OTAN sur des maisons d’habitation dans des zones résidentielles et rurales où ni Amnesty International, les experts des Nations unies, d’autres ONG internationales ou encore les journalistes n’ont trouvé de trace d’objectifs militaires à l’endroit et au moment où les frappes sont intervenues. L’enquête menée par Amnesty International sur certains incidents indique que des domiciles privés ont pu être frappés par erreur, peut-être à la suite de faux renseignements, de coordonnées GPS erronées, ou de dysfonctionnements du dispositif armé. L’OTAN aurait dû appliquer des normes particulièrement élevées en matière de précautions avant de prendre pour cibles des domiciles civils.
En 2017, 60 de la population libyenne souffrait de malnutrition. 1,3 million de Libyens étaient en attente d’une aide humanitaire d’urgence, sur une population de 6,4 millions d’habitants. Cette situation catastrophique fait suite à l’intervention éclaire de 2011 conduite par l’OTAN. L’organsiation s’estimait investie d’une mission humanitaire : sauver le peuple libyen du massacre que lui promettait son dictateur et lui offrir un mod-le démocratique, gage de stabilité, de liberté et de prospérité. Le régime de Kadhafi est bien tombé. Mais la situation est très éloignée des promesses attendues de l’intervention des Occidentaux : violences, famines, instabilité politique et progrès de l’islaminisme. Les principaux médias français qui avaient couvert avec attentions les événements de 2011, sont depuis bien silencieux sur les séquelles de cette intervention militaire ordonnée par Nicolas Sarkory. Une intervention qu’ils soutenaient alors, à l’unisson de la classe politique de française de l’époque.
E.K.