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Une candidature aussi médiatique que controversée
Jamais dans l’histoire récente du prix Nobel de la paix une personnalité n’a autant revendiqué la récompense que Donald Trump. L’ancien président américain, redevenu occupant de la Maison-Blanche depuis janvier 2025, affirme depuis plusieurs années qu’il “la mérite plus que quiconque”, citant à l’appui ses efforts diplomatiques au Moyen-Orient et en Asie.
Il aime rappeler les Accords d’Abraham, signés en 2020 entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn, qu’il présente comme un tournant pour la paix régionale — bien que ces accords aient surtout formalisé des rapprochements déjà amorcés. « Personne n’a fait plus pour la paix que moi », déclarait-il encore en septembre lors d’un meeting dans le Michigan, ajoutant que « si le Nobel était juste, je l’aurais déjà gagné trois fois ».
Les experts norvégiens restent sceptiques
À Oslo, où siège le comité Nobel, l’idée d’un prix à Donald Trump est accueillie avec circonspection. Selon le quotidien Aftenposten, qui publie traditionnellement une analyse détaillée avant chaque annonce, les chances de l’ancien président sont “très faibles”. Le journal évoque trois raisons pour lesquelles le comité pourrait malgré tout le choisir : il a bel et bien été nommé officiellement par plusieurs parlementaires étrangers ; plusieurs présidents américains ont déjà été récompensés (Théodore Roosevelt, Woodrow Wilson, Barack Obama) ; le prix a parfois été attribué à des dirigeants “pour les encourager à poursuivre un processus de paix”.
Mais ces arguments paraissent minces. Pour la majorité des observateurs norvégiens, le bilan de Donald Trump « ne correspond en rien à l’esprit du Nobel », marqué depuis 1901 par la défense des droits humains et la diplomatie multilatérale.
Un Nobel sous tension
Le comité Nobel, qui s’apprête à délibérer, est plus divisé que jamais. En interne, plusieurs voix plaident pour une année sans lauréat, comme cela s’est déjà produit dans le passé, notamment en 1948 (après l’assassinat de Gandhi) ou en 1972, lorsque les guerres du Vietnam et du Bangladesh rendaient toute récompense symboliquement impossible.
Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, les États-Unis ont rompu avec plusieurs accords internationaux, notamment sur le climat et le commerce. Sa politique étrangère reste dominée par des décisions unilatérales et des déclarations provocatrices, en particulier à l’égard de la Chine et de l’Iran.
« Le Nobel récompense ceux qui favorisent le dialogue. Or Trump pratique la diplomatie du rapport de force », estime Kari Møller, historienne des relations internationales à l’université d’Oslo. « Ce serait un contresens complet. »
Un précédent embarrassant : le Nobel d’Obama
L’idée d’un Nobel de la paix attribué à un président américain au début de son mandat n’est pourtant pas nouvelle. En 2009, le comité norvégien avait récompensé Barack Obama, à peine élu, pour « ses efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie internationale ». Cette décision, largement critiquée, reste un précédent qui hante encore le comité : de nombreux membres estiment qu’elle a affaibli la crédibilité du prix.
« Donner le Nobel à Trump aujourd’hui serait perçu comme un geste politique, voire ironique », analyse Hans Petter Hagen, éditorialiste à Dagbladet. « Mais les jurés du comité n’aiment pas être instrumentalisés. Ils savent que leur choix aura une portée symbolique mondiale. »
Entre provocation et stratégie politique
Pour Donald Trump, la perspective du Nobel est aussi une arme politique. Dans un contexte intérieur tendu, où les divisions restent profondes et où les enquêtes judiciaires se poursuivent, obtenir une reconnaissance internationale renforcerait sa stature. Ses partisans ont d’ailleurs lancé une vaste campagne en ligne, appelant à « réparer l’injustice » et à lui « rendre ce qui lui revient ».
Mais à Oslo, les membres du comité répètent qu’ils « ne commentent jamais les nominations ». Un secret qui entretient le suspense… et la polémique.
Verdict imminent
Le verdict tombera vendredi 10 octobre à 11 heures, dans l’austère salle de conférence de l’Institut Nobel.
Trump y croit, ses opposants s’en amusent, et les experts s’en méfient. Si le comité décidait de récompenser un dirigeant pour « ses intentions plutôt que ses actes », il prendrait le risque d’un séisme symbolique.
D’ici là, une question demeure : le prix Nobel de la paix est-il encore une récompense morale, ou un instrument politique ?
Et si, au fond, le comité choisissait cette année la solution la plus prudente : ne rien choisir du tout.
J.F.PAGNI