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Samedi, place Henri Konan Bédié d’Agboville, l’intermède « Charles Blé Goudé, cuisinier » à la prison de Scheveningen a éclipsé tout le reste du discours de Laurent Gbagbo. Et c’est le plus logiquement que les internautes ivoiriens, friands de buzz, en ont fait leurs choux gras. Par-dessus-tout, le propos du candidat à la présidentielle a révélé, à la lumière cruelle du jour, le malaise profond entre Charles Blé Goudé et lui. Malaise ? Le président du Ppa-Ci n’a jamais cité le nom du président du Cojep : « Il y en a qui disent : c’est moi qui faisais la cuisine pour Gbagbo. Mais ils ne disent pas d’où sort l’argent avec lequel la nourriture a été achetée. L’argent, ça sortait de chez Nady. Et celui qui faisait même la cuisine d’abord, normalement, c’était un jeune congolais qui s’appelait Germain Katanga. C’est quand on l’a libéré que celui que vous savez a pris un peu la relève ».
Personne, dans l’assemblée, n’était dupe : l’allusion à l’ancien leader des jeunes patriotes était flagrante, d’autant que Charles Blé Goudé avait, déjà, à de multiples occasions, évoqué l’affaire de la « cuisine » à la Cour pénale internationale. Qu’il ait cité nommément Germain Katanga et se soit abstenu de dire le nom de son dernier ministre de la Jeunesse est une preuve irréfragable que quelque chose s’est cassé depuis, entre le « père » et le « fils ». Au surplus, en dédiant tout un pan de son discours à l’ancien leader étudiant, lors d’une célébration de grande ampleur, comme celle d’Agboville, Laurent Gbagbo montre clairement qu’il a une dent contre Charles Blé Goudé. Et ce n’est manifestement pas la faute à un calendrier chargé si le leader d’opposition n’a pas reçu son ancien co-détenu.
La question d’une rencontre entre le chef du Ppa-Ci et le leader du Cojep a été régulièrement évoquée. Une partie de l’opinion n’a jamais compris que revenu de La Haye, Blé Goudé n’ait pas été reçu par celui qu’il tient pour son « père » et « mentor ». Dans la multitude d’interviewes qu’il a données aux journalistes, depuis son retour à Abidjan, le 26 novembre 2022, la question « Pourquoi Laurent Gbagbo ne vous a pas encore reçu ? » n’a presque jamais manqué. Optimiste, le président du Cojep lâchait en conférence de presse, le mercredi 11 janvier 2023, à la Maison de la presse : « Le président Laurent Gbagbo n’a pas refusé de me recevoir sinon il m’aurait signifié ».
Un an après, la situation n’a guère évolué. Et les chefs traditionnels du Goh- région d’où sont originaires Laurent Gbagbo et Blé Goudé- ont entrepris une médiation. Le dimanche 25 février 2024, à Kpapékou (Gagnoa), le président du Conseil des chefs traditionnels du département, Boga Sivori, déclarait : « Nous sommes allés rencontrer le président Laurent Gbagbo. Il nous a fait l’honneur de nous recevoir à son cabinet, à Attoban, pendant près de deux heures, et nous avons parlé. Le président m’a dit exactement ceci : « Je ne reproche rien à mon fils. Je n’ai rien contre lui. Nous venons de très loin et il sait pourquoi c’est nous deux qui sommes allés là-bas. Je ne lui reproche rien et il n’y a rien entre nous. Mais vous voyez que je ne parle pas depuis que nous sommes venus. Je suis prêt à le recevoir à tout moment » ».
La sortie de Laurent Gbagbo à Agboville a l’avantage de la clarification. La rupture, avec Charles Blé Goudé, semble consommée. Et à moins d’un revirement- comme cela n’est pas si rare dans le microcosme politique ivoirien- l’un et l’autre devraient difficilement se rabibocher.
E.K.